L'Émerveillement

Ecrit par Cherlan-Miche Philippe le 22 Juillet 2023

Lorsqu'on me demande ce que j'aime dans la vie, je parle tout de suite de littérature : les livres que je lis, les auteurs que j'apprécie, les textes que j'écris... En y réfléchissant davantage, il y a bien plus de choses que j'aime dans la vie. Je pense en ce moment à l'acteur haïtien Jimmy Jean Louis, dont j'ai regardé une conférence Zoom retransmise sur Facebook en 2020. Citation venait de paraître. Pendant la conférence, la modératrice, une jeune étudiante en communication à l'Université Notre Dame de Port-au-Prince, interrogea Jimmy sur sa passion pour le cinéma. Celui-ci répondit que, plus que le cinéma, c'est de la vie qu'il est passionné. Le cinéma ne représenterait qu'un petit carré de ce vaste territoire qu'est la vie.

En effet, je crois qu'il y a beaucoup de petites choses à découvrir et à apprécier au quotidien : un nouveau plat dans un restaurant chinoise, une rencontre fortuite avec une Érythréenne dans un parc, une fillette adorable qui titube dans un Walmart et attire tous les regards, un classique bouillant un dimanche matin entre le Paris Saint-Germain et l'Olympique de Marseille qui se termine par une victoire improbable de l'OM, une musique de jazz bien syncopée, un bon konpa kreyòl...

Il y a tant de détails intéressants à explorer pour donner vie à notre existence. On ne saurait réduire la vie à "quelque chose". Mon expérience au sein de différentes communautés renforce en moi cette idée jubilatoire d'explorer la vie, de vivre pleinement ces expériences spontanées.

Il y a un an, j'étais en formation avec un groupe de développeurs logiciels en Géorgie, où nous partagions une maison communautaire pendant la durée de la formation. Au début, nous étions distants les uns des autres, venant de contrées et de cultures différentes (nous étions deux Haïtiens, un Éthiopien et trois Américains). Cependant, il ne nous a pas fallu longtemps pour nous rapprocher. À mesure que nous nous côtoyions, prenant ensemble un Uber pour nous rendre au centre de formation, passant des journées à suivre notre instructeur, résolvant des activités de groupe, nous avons développé des affinités. Pendant cette période, j'ai noué une grande amitié avec André, un brillant développeur web doté d'une étonnante jeunesse d'esprit. Père de deux enfants, sa famille est basée à Miami. Je parlerai peut-être plus tard d'André, peut-être dans une prochaine chronique, car il y a énormément de choses à dire sur cet homme.

J'étais émerveillé de découvrir le monde d'autres individus et d'autres cultures pendant ma période de formation en Géorgie. J'apprenais quelques pas de danse éthiopiens avec Yomee, un homme extrêmement réservé et taciturne, mais qui pouvait être très amusant par moments. Un des gars du groupe était un vétéran de l'armée américaine, et il partageait ses huit années d'expérience avec le reste du groupe. J'ai découvert un univers de travail totalement différent de ce à quoi j'étais habitué en Haïti, où tout va plus vite, la communication avec son superviseur peut être moins formelle, semble plus détendue (mais je sais bien qu'on peut être viré en un claquement de doigts). Tous ces éléments ont enrichi mon imaginaire, rempli mon quotidien et m'ont rendu plus heureux, je dirais.

En parlant avec Lheli, un ami vivant à Taïwan, je lui ai expliqué ma perception des gens qui parlent sèchement, qui ne sont pas abondants lorsqu'ils s'expriment, qui ne font que dire des "oui", "non" et des interjections choisies à la volée au cours d'une conversation. Pour moi, cela témoigne d'une grande paresse ou d’une certaine pauvreté, et je ne parle pas seulement de manque d'argent. On peut être pauvre dans la façon dont on vit sa vie. Je sais que j'exagère, c'est juste mon point de vue, mais je suis vraiment convaincu que plus on fait d'expériences, plus notre vie sera riche, et nous aurons beaucoup de choses à raconter et à partager avec les autres.

Auparavant, je prenais tellement au sérieux le besoin de me définir comme un passionné de littérature que je fermais les yeux sur d'autres aspects de la vie. En y réfléchissant bien, c'était une erreur capitale. Quand on dit oui à une passion, il ne faut pas dire non aux autres qui viennent en cours de route, car d'autres viendront dépendamment des jours. Il faut savoir accueillir ces hasards-là. Tant qu'on y est, laisse-moi reprendre cette phrase que j'avais lue dans La plus secrète mémoire des hommes que j'ai adorée: “La vie n’est rien d’autre que le trait d’union du mot peut-être”. Une bien belle celle là! J’ajoute à cette phrase qu'on marche toujours sur ce mince filet qu’est le trait d’union et que chaque instant, chaque seconde, ce sont toujours des risques et des découvertes. Je ne prêche pas l’indiscipline, on aura toujours à faire des choix, assumer des responsabilités, mais on ne doit jamais se détourner de la vie, c'est vers elle qu'on doit aller, c’est la plus grande source à laquelle il faut puiser et s’abandonner.